Plus le temps passe, plus les critiques assassines contre PowerPoint se succèdent. Le logiciel serait responsable de tous les maux : affaiblissement de la pensée, sentiment erroné de maîtrise et de compréhension, perte de temps, inefficace… Les attaques fusent depuis des années. Mais pourquoi ? PowerPoint est-il bien votre pire ennemi ?

Il n’y a pas de fumée sans feu

Quand on entend parler de PowerPoint, on a le sentiment d’avoir affaire à un serial killer. L’expression de “mort par Powerpoint”, qui nous viendrait du consultant Alexei Kapterev, se diffuse largement sur le web. Certaines critiques sont moins virulentes, comme par exemple celle de l’ancien journaliste Franck Frommer qui a publié en 2010 “La Pensée PowerPoint. Enquête sur ce logiciel qui rend stupide” (La Découverte). Regardons tout ça de plus près.

Edward Tufte est un célèbre professeur de l’université de Yale qui est décrit dans le New York Times comme “le Léonard de Vinci des données”. En 2003, il va incriminer l’usage de Powerpoint comme l’une des causes de l’accident de la navette spatiale Columbia (voir ici). Il écrit en 2006 qu’« hélas, les logiciels de présentation réduisent souvent la qualité analytique des présentations. En particulier, les modèles PowerPoint populaires affaiblissent généralement le raisonnement verbal et spatial » (The Cognitive Style of PowerPoint: Pitching Out Corrupts Within). .

C’est aussi l’avis du général américain McMaster. Interrogé dans un article du NewYork Times d’avril 2010, il avance que « certains problèmes dans le monde ne sont pas transformables en bullet-points ». L’armée américaine est très consommatrice de slides, et McMaster n’est pas le seul à élever la voix. Le général McChrystal, interviewé dans le même article, raconte que lors d’une présentation sur la stratégie militaire des forces américaines en Afghanistan, une slide ressemblant à un bol de spaghettis l’a fait réagir : « Lorsque nous aurons compris ce slide, nous aurons gagné la guerre ! ». La phrase, un tant soit peu provocatrice, a été largement commentée et relayée dans les médias.

slide spaghetti New-York Times

Oui, les critiques fusent de partout, et parfois de là où on les attend le moins… En Suisse, un parti politique « anti-PowerPoint » s’est créé avec l’ambition affirmée « de devenir le quatrième plus grand parti de Suisse ». Rien que ça !

Bon, nous pourrions citer encore beaucoup d’exemples. Mais finalement, une question demeure : ces attaques sont-elles justifiées ? Pourquoi les plus grandes entreprises continuent-elles de l’utiliser ? Seulement par habitude ? Ce qui est certain, c’est qu’il n’y a pas de fumée sans feu.

Et si Powerpoint était votre meilleur ami ?

Avec tout ce qu’on vient de dire, on se demande bien ce qu’on peut encore trouver d’intéressant à Powerpoint. Sans entrer ici dans une explication détaillée (pour cela, vous pouvez lire notre livre Powerpoint, le vrai du faux) disons simplement ceci : accuser PowerPoint d’affaiblir la pensée, c’est un peu comme accuser un tournevis de ne pas savoir planter des clous !

Sérieusement, qui vous a dit que PowerPoint était un outil pour vous aider à réfléchir ? Le logiciel n’a rien demandé ! Le problème ne vient pas de l’outil mais bien de son utilisation à mauvais escient. Qui essaierait de couper un arbre avec une paire de ciseaux ? C’est aussi stupide que de réfléchir selon la logique de slide et de bullet points de PowerPoint. Et pourtant, beaucoup de présentateurs (presque tous ?) tombent dans le piège.

Tufte (toujours lui) affirme que le principe des « listes à puces » ne permet pas d’appréhender des informations complexes. Pire, il rendrait plus difficiles les raisonnements en forçant une hiérarchisation des informations inutilement compliquée.

La conclusion revient à Edouard Gruwez, dans son excellent livre Construire une présentation efficace en 4 temps : « Il est vrai que PowerPoint influence notre façon de penser et de présenter. Il y a une tendance inhérente à fragmenter les idées et à provoquer une surcharge cognitive. ».

En fait, la logique de slide n’est pas une logique de raisonnement approprié. Citons Olivier Babeau, le président de l’Institut Sapiens, qui résume parfaitement ceci dans Les Echos : “Le format de la succession des planches brise la continuité narrative et empêche le déroulement d’une réflexion cohérente. Elle favorise la juxtaposition d’idées plutôt que le déroulement d’une démonstration”. L’agence PowerPoint Prezman propose une formation d’une heure dédiée à ce problème si vous souhaitez approfondir le sujet.

Qu’il s’agisse de PowerPoint ou n’importe lequel de ses concurrents, les logiciels de présentation ne sont donc pas le réel problème. Le souci, c’est l’utilisation qu’en fait le présentateur. Cela dit, si Powerpoint est correctement utilisé, est-il vraiment un avantage ? Devrions-nous changer de méthode de communication ? Surtout pas ! Voyons maintenant pourquoi.

Le Naturel médiatique

Ned Kock, chercheur et philosophe américain de la Texas A&M International University, est connu pour analyser le comportement humain avec les technologies en y intégrant les idées de l’évolution biologique. Il a introduit la théorie du naturel médiatique qu’il développe dans différentes publications tel que The Psychobiological Model: Towards a New Theory of Computer-Mediated Communication Based on Darwinian Evolution de juin 2004, paru dans la revue Organization Science.

Ned Kock explique que le face-à-face est une méthode de communication plus naturelle que les autres. Jusque-là, rien de bien nouveau. Le chercheur a développé une théorie en avançant que cette méthode naturelle est le meilleur moyen de communication qui soit. Il appelle cela le « naturel médiatique ». C’est donc un bon point pour la présentation. En fait, cette théorie affirme que plus la communication s’apparente au naturel médiatique, plus elle est susceptible d’être efficace. Autrement dit, plus une méthode de communication s’approche d’un oral en face-à-face, mieux les messages seront reçus, compris et enregistrés.

La présentation permet de communiquer de la manière la plus naturelle qui soit, et donc de la manière la plus profitable selon la théorie du naturel médiatique. Remplacer son oral par un fichier envoyé par mail sera nécessairement moins efficace.

Ok, mais alors peut-on aussi parler sans slides ? Pourquoi appuyer son discours d’un PowerPoint ?

On comprend mieux ce qu’on voit

Le professeur de psychologie Richard E. Mayer, de l’Université de Californie, est catégorique. Il affirme dans son livre Multimedia Learning qu’« on apprend mieux avec des mots et des images qu’avec des mots seuls ». Mayer s’est intéressé à l’étude de la science de l’apprentissage pour rendre plus efficiente l’éducation. Il a notamment axé ses recherches sur l’apprentissage assisté par ordinateur. Ses études ont démontré que les résultats moyens des étudiants sont nettement supérieurs lorsque ce qu’il faut retenir est présenté avec des images plutôt qu’avec du texte simple.

Autrement dit, les mots sont plus difficiles à retenir que les visuels. Qu’ils soient écrits ou prononcés à l’oral, leur impact est moindre et leur mémorisation plus compliquée. Le docteur Lynell Burmark, associé au centre Thornburg pour le développement professionnel et auteur de plusieurs livres et articles sur l’alphabétisation visuelle, le confirme. Elle ironise en précisant qu’ « à moins que les mots, les concepts, les idées ne soient accrochés par une image, ils entreront dans une oreille, naviguerons dans le cerveau, et sortirons par l’autre oreille ».

Cet aspect de la mémoire humaine qui « préfère » les visuels aux mots a une explication. John Berger, théoricien des médias, l’expliquait déjà son livre Ways of Seeing en 1972. Selon lui, l’explication est assez simple. Il résume sa pensée en disant que « la vue vient avant les mots. L’enfant regarde et reconnaît avant de savoir parler ». Le cerveau apprend donc à comprendre et mémoriser avec la vue, bien avant de le faire avec les mots.

D’après le professeur de psychologie Graham Hitch de l’Université de York, dans son article Temporal Grouping Effects in Immediate Recall : A working Memory Analysis de 1996, lorsqu’une information présentée est structurée selon une organisation pyramidale (voir notre livre), sa mémorisation augmente de 30% si elle est transmise à l’oral, et de 60% si elle l’est au moyen de visuels.

La présentation, comme nous l’avons rappelé, est avant tout un exercice d’oral. Toutefois, il est établi que l’oral seul n’est pas la méthode de communication la plus optimale. Bien que le face-à-face corresponde au naturel médiatique, lui adjoindre un support visuel est nécessaire pour renforcer l’impact, la compréhension et la mémorisation.

Alors oui, créer un bon PowerPoint c’est compliqué, et oui, il serait souvent préférable de ne pas en faire du tout et de tout simplement parler en face de son public. Mais quand les enjeux sont importants, se passer d’un bon support visuel serait une grave erreur…

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